LA RELIGION A BABYLONE
tiré de Babylone,
par Marguerite Rutten
Editions Presses Universitaires de France, collection Que sais-je ?
Editions de 1948
Le Poème de la Création
Le quatrième jour de la Fête du Nouvel An, le Grand-Prêtre récitait le Poème de la Création. Cette lecture était accompagnée de commentaires probablement émis par l'assemblée des prêtres qui répondait au Grand-Prêtre et l'assistait. On célébrait alors les épisodes de la victoire de Mardouk sur le Chaos, sa Toute-Puissance, et en même temps on commémorait les événements mémorables de sa mort et de sa résurrection. En reliant ce poème aux scènes religieuses que l'on représentait, les actes accomplis lors de la Création prenaient des significations plus étendues. Il convient donc de résumer le thème initial de ce récit.
La « création », de source ancienne, a été remaniée à l'époque de la Première dynastie de Babylone dans un sens favorable à Mardouk.
Lorsque (à l'origine) tout était informe et n'avait pas encore de nom, des eaux primordiales d'abord confondues, deux principes, l'eau douce et l'eau salée, représentés par Apsou et Tiamat, donnèrent naissance à des générations divines dont : la « totalité d'en haut » et la « totalité d'en bas » . De ces couples naquirent les dieux du panthéon babylonien. Bientôt les dieux intriguèrent contre leurs ancêtres et Apsou décida de les anéantir. Mais le jeune dieu Ea, par la force de la Magie, réussit à s'emparer du domaine d'Apsou ! Tiamat crie vengeance... Elle enfante des monstres et prend un nouvel époux Kingou à qui elle remet « les Tablettes des Destins ». Cette fois les dieux prennent peur et devant l'imminence du danger battent en retraite. Dans le conseil de guerre qu'ils tiennent, Màrdouk est le seul qui accepte d'affronter Tiamat (le Chaos). Mais avant de devenir leur champion, Mardouk doit s'assurer de son pouvoir; les dieux mettent devant lui un vêtement, ils lui disent de commander qu'il disparaisse et on ne le voit plus, qu'il reparaisse et il reparaît. (Cet épisode a été construit sur l'étymologie.) Le texte décrit tous les avantages que les dieux conféreront à Mardouk après sa victoire. Puis ils lui remettront les insignes du pouvoir.
Mardouk part emportant comme armes : l'arc, la « harpé » , la foudre, l'ouragan, le filet et les « sept vents » et il monte dans le char des Tempêtes, tiré par des dragons ailés crachant du feu.
Le combat s'engage, malgré un moment d'épouvante devant les monstres déchaînés par Tiamat serpents monstrueux, chiens enragés, hommes-scorpions remplis de venin, dont Bérose nous a laissé une description. Mardouk attaque, prend Tiamat dans son filet, lui jette les vents à la face ; ceux-ci entrent dans son corps et l'annihilent. Il ne reste plus à Mardouk qu'à lui donner le coup de grâce. L'armée de Tiamat en déroute est enfermée par le dieu vainqueur. Kingou est dépossédé des Tablettes des Destins dont Mardouk s'empare. De ce fait il devient le maître de toutes les destinées.
La création organisée va alors commencer. En séparant le corps du Chaos en deux, Mardouk crée le ciel et la terre. En un mot, il sépare les éléments.
Il organise ensuite le monde céleste. L'étoile de Mardouk (Jupiter), celle qui s'écarte le moins de l'écliptique, va désormais régler la marche des astres. A ce moment, le récit de la création touchait au point capital du symbolisme babylonien. Les données astrologiques entraient dans cette partie du récit. Le poème est du reste un modèle de composition. Il introduit à chaque occasion un résumé des connaissances de l'époque. On pouvait s'appuyer sur ce texte pour bâtir ce symbolisme dont nous trouvons la confirmation aussi bien dans les textes que sur les monuments. C'est ainsi qu'indirectement les Nombres servirent à inscrire les relations universelles. Après la création du Temple de l'Univers, l'E-shar-ra où demeurent Anou, Enlil et Ea, Mardouk crée l'Humanité. Le sang du dieu Kingou mêlé à de l'argile est animé par le dieu. Le but utilitaire de la création de l'humanité est le même que celui que lui avaient déjà assigné les anciens textes : l'homme est créé pour servir les dieux.
L'oeuvre créatrice de Mardouk est achevée, il lui reste à instituer le culte. Un temple est alors construit qui sera la résidence divine : c'est l'Esagil céleste. Lorsque la construction est terminée, les dieux se réunissent dans un banquet d'inauguration; Mardouk y est glorifié ; chaque dieu lui octroie un titre qui lui est propre. Ces noms au nombre de « cinquante » (le nombre réservé à Enlil), confèrent à Mardouk un pouvoir absolu. Tous les dieux sont réunis en lui. Il est le chef incontesté du panthéon qui subsiste intact cependant. Cela prouve l'habileté du clergé de Babylone qui a réussi de cette manière à hausser triomphalement Mardouk à la première place.
La fin du poème est certainement constituée pour exalter Mardouk et comme le définit R. Labat dans le Poème babylonien de la Création :
Ce matériel a été mis en oeuvre par les prêtres ; ils ont considéré ces cinquante noms comme des épithètes hermétiques qu'ils ont interprétées à l'usage des initiés, suivant des étymologies rituellement artificielles.
Babylone est donc la résidence magnifique de celui qui a sauvé les dieux et créé le monde. L'Esagil et l'Etémenanki seront sa demeure terrestre où, au Nouvel An, se dérouleront les cérémonies rappelant ces événements mémorables et où les Destins du monde seront décrétés.
La Fête du Nouvel An
De toutes les fêtes célébrées à Babylone, celle du Nouvel An appelée Fête de « l'Akitou » était la plus importante. Le Nouvel An était déjà à l'époque sumérienne une grande solennité; nous avons des renseignements sur les « akitous » en l'honneur des divinités locales des différentes villes. Celle de Babylone allait prendre des proportions en rapport avec l'importance de la capitale et avec le culte de Mardouk. A l'époque qui a précédé la Première dynastie, le Nouvel An était célébré à des dates différentes, mais, dans la plupart des cas, c'était au mois de Tishrit, c'est-à-dire vers l'équinoxe d'automne, que l'année commençait. Il y avait même parfois deux fêtes de l'Akitou, celle d'automne et celle du printemps; c'est celle-là qui a prévalu à Babylone, après le règne de Hammourabi. La Fête du Nouvel An se célébrait vers l'équinoxe de printemps, au début du mois de « nisan » , qui correspond environ aux mois de mars-avril du calendrier grégorien et au mois d'avril du calendrier Julien. Le temps en était fixé par le lever héliaque de l'étoile « hunga » : l'alpha du Bélier. A Babylone, cette cérémonie durait douze jours. La ville de Borsippa était associée aussi aux différents épisodes de la fête; le dieu Nabou, fils du dieu Mardouk et patron de la ville, jouait un rôle de premier plan au cours de ces journées. Comme « scribe des dieux » , le dieu Nabou inscrivait les destins annuels fixés dans l'assemblée des dieux. D'autre part, il délivrait son père au cours du Mystère de la « Disparition » de Mardouk. Le roi de Babylone participait activement aux cérémonies. Il était chargé de faire le geste symbolique de « prendre la main du dieu » pour l'inviter au départ lors de la « Grande Procession » qui conduisait Mardouk dans une chapelle située en dehors de la ville appelée « Maison de l'Akitou » , où il demeurait avant de regagner la capitale. Lors d'une calamité atteignant la personne du roi ou lorsque l'ennemi rôdait autour de la ville, il fallait bien supprimer la procession : Mardouk ne sortait pas et le dieu Nabou ne venait pas de Borsippa rejoindre son père. C'était un deuil national que la Chronique babylonienne ne manquait pas de, consigner. Ainsi, lorsque le dernier roi, Nabonide, était à Teima, la Chronique note :
l'an... Nabonide... à Babylone ne vint pas, le dieu Nabou à Babylone n'alla pas. Bêl ne sortit pas, la fête de l'Akitou fut suspendue..."
Nous verrons plus loin quelle désolation les textes laissent percer à travers leur laconisme, au moment de la prise de Babylone par Cyrus.
Les cérémonies
Les cérémonies qui se déroulaient pendant la Fête du Nouvel An sont partiellement reconstituées à l'aide des rituels.
Les Sept Premiers Jours
La cérémonie du Premier Jour de l'An est encore inconnue.
Le 2 de nisan
Deux heures avant le petit jour, le Grand-Prêtre se lève, se lave dans l'eau de l'Euphrate, puis entre vêtu d'un habit de lin, dans le sanctuaire de Mardouk. Dans la prière qu'il lui adresse, il assimile Babylone au trône du dieu, Borsippa à sa tiare et les vastes cieux à son ventre. Cette oraison est secrète et n'est prononcée que par le Grand-Prêtre encore tout seul dans le sanctuaire. C'est seulement après que les portes sont ouvertes et que les autres prêtres entrent à leur tour dans le temple. Les rites sont alors accompagnés de musique et de chants liturgiques. Nous n'avons pas la suite des cérémonies de la journée.
Le 3 nisan
Après les premières prières, le Grand-Prêtre convoque des artisans d'art, leur remet de l'or, des pierres précieuses appartenant au trésor de Mardouk, ainsi que du cèdre et du tamaris. Ils exécuteront deux statuettes en or rehaussées de pierreries, l'une tenant un serpent, l'autre un scorpion et habillées toutes deux de rouge avec une corde en fibre de palmier autour des hanches. Ces statuettes seront placées dans le temple jusqu'au sixième jour.
Le 4 nisan
Bien avant le lever du soleil, les prières et les cérémonies commencent ; lorsque le Grand-Prêtre a béni l'Esagil, les portes sont ouvertes pour les autres prêtres comme les jours précédents. C'est dans la journée, après le petit repas du soir, que le Grand-Prêtre récitera devant Mardouk le célèbre Poème de la Création. Pendant ce récit la tiare du dieu Anou et le trône du dieu Enlil sont couverts.
Le 5 nisan
Dans la nuit, exercices, prières, qui assimilent les étoiles du ciel au dieu Mardouk et à sa parèdre Zarpanit. Le Grand-Prêtre appelle un Incantateur porteur d'eau lustrale, de feu et d'encens pour procéder à la purification du temple. Un sacrificateur tranche la tête d'un agneau (ou d'un bélier), le corps de l'animal est pris par l'Ineantateur qui en frotte le temple pour l'imprégner de ses impuretés ; il récite des incantations pour que l'animal emporte toutes les souillures, il jette ensuite son cadavre dans le fleuve. Il semble que nous ayons là le prototype du « bouc émissaire » . Au cours d'une cérémonie analogue on met à mort un bouc. Par ce châtiment infligé à l'animal, on pensait avoir détruit le mal dont on l'avait chargé à la place de l'homme pécheur et, par suite de ce transfert, on croyait épargner le châtiment au vrai coupable. L'Incantateur et le Purificateur doivent ensuite quitter le temple. De son côté, le GrandPrêtre ne doit pas « voir » cette cérémonie. Lorsque tout est terminé, le Grand-Prêtre convoque les Servants du Temple qui, avec « le Ciel d'Or » de Mardouk, couvriront la chapelle réservée au dieu Nabou dans l'Esagil et qui s'appelle comme son sanctuaire de Borsippa : l'Ezida. Un festin est préparé que les Servants du Temple transporteront au bord du canal où est attendu le dieu Nabou (du moins sa statue), venant de Borsippa dans sa barque. Alors a lieu dans l'Esagil une curieuse cérémonie, celle de « l'humiliation du roi » . Avant cette cérémonie, le GrandPrêtre s'adressait d'abord au dieu Mardouk, ensuite il sortait et priait alors Zarpanit en ces termes :
Madone brillante, sublime, élevée!
Parmi les déesses aucune n'est comme elle
l'accusatrice qui prend la défense !
Celle qui abaisse l'orgueilleux
et redresse l'humilié!
Celle qui terrasse celui qui ne craint pas sa divinité !
Celle qui épargne le captif, qui relève
celui qui est tombé!...
Au roi qui te craint fixe sa destinée !
Aux fils de Babylone, accorde un guerrier protecteur !
Après ces prières, le Grand-Prêtre prend les insignes royaux des mains du roi, il les place devant la statue de Mardouk et lui frappe la joue, lui tire les oreilles, le fait mettre à genoux, lui fait réciter une confession négative comme celle que l'on fait dire au pécheur que l'on doit exorciser : « je n'ai pas péché contre le dieu, je n'ai pas attenté à la majesté de l'Esagil, ni oublié ses rites » . On peut se demander si la confession du roi n'était pas faite pour le peuple tout entier. Il est difficile de l'affirmer. Mais on connaît par ailleurs « la mise à mort du roi » remplaçant en quelque sorte « la mise à mort du dieu » et il est bien possible que les tombes royales d'Our avec leur « massacre » inexplicable n'en soient des témoins. Les rites babyloniens en constitueraient une survivance atténuée.
Le Grand-Prêtre, après avoir rassuré le roi, lui rend ses insignes et le gifle à nouveau. Le texte dit :
« Il frappera la joue du roi : si ses larmes coulent, Mardouk est bien disposé ; sinon, Mardouk est en colère : l'ennemi marchera contre Babylone et il le battra. »
A la fin du jour, on creuse une fosse dans la cour du temple, on la remplit de roseaux, on y verse des libations d'huile et de graisse, et, après avoir immolé un taureau blanc au bord de la fosse, le roi met le feu aux roseaux. (Tous ces rites ont une signification.) Les insignes de la royauté sont censés être aux cieux-et lorsque les textes indiquent au début de la liste des dynasties qui régnèrent sur la Mésopotamie que « la royauté vint d'en haut » , ils montrent par là que ce sont les dieux qui accordèrent le pouvoir aux humains, ce pouvoir était, comme nous l'avons déjà indiqué, confié autrefois au roi par le dieu Enlil de Nippour. Depuis la Première dynastie, c'était Bêl Mardouk qui, désormais, choisissait le roi à Babylone.
Le 6 nisan
Le texte manque. Sans avoir la mention de l'entrée du dieu Nabou, on peut cependant supposer qu'on devait l'héberger le soir du cinquième jour. Pendant les jours qui précèdent le 8, probablement le 5 et le 6, les statues des dieux devaient arriver- de leurs temples respectifs pour assister aux cérémonies. Selon les hymnes qui nous sont parvenus ce sont tous les grands dieux : Anou, Enlil, Ea, Sin., Shamash, Adad, Ninourta et leurs parèdres ainsi qu'Ishtar. C'est sans doute aussi pendant ces journées que pouvaient se dérouler les scènes du « Mystère de la Passion de Mardouk » . Ce drame devait se jouer avec des personnages vivants plutôt qu'avec des statues. Les textes en ont été interprétés sous le titre :
« La Mort et la Résurrection de Bêl-Mardouk »
« La Mort et la Résurrection de Bêl-Mardouk »
Nous ferons remarquer que ces rituels provientnent de divers centres religieux. Ils ont cependant une telle analogie entre eux qu'ils paraissent appartenir à un même thème, sans que nous osions affirmer cependant qu'ils appartiennent tous au mythe de Bêl-Mardouk.
Ce sont des « commentaires » de scènes mimées plus ou moins allégoriques, expliquant le va-et-vient des personnages et les gestes qu'ils font. Malheureusement pour nous, les textes souvent fragmentaires ne sont pas toujours compréhensibles. Nous choisissons parmi les commentaires connus un extrait du scénario du « Drame » de la passion de Bêl-Mardouk intitulé :
Cela représente Bêl lorsqu'il est enchaîné dans la montagne
(le terme « montagne » est un euphémisme pour indiquer la sépulture).
Les personnages qui entrent en scène et agissent sont l'objet d'explications qui ne sont pas toujours ni très claires ni complètes. En voici quelques passages :
Un personnage arrive et le commentaire explique ce qu'il est :
Il y a un messager qui court en disant : "Qui le fera sortir ?"
Le paragraphe suivant prédit l'arrivée du sauveur, Nabou :
Celui qui arrive le délivrera.
Un personnage va vers la « montagne » où aura lieu un interrogatoire
Celui qui se rend vers la montagne...
C'est celui qui va...
Là où il va, c'est la maison à la lisière de la montagne où on l'interrogera.
Arrivée de Nabou :
Le dieu Nabou de Borsippa arrive.
Il vient pour le salut de son père qui est « prisonnier »
Un cortège de femmes parcourt les rues en priant les dieux de l'Oracle pour Bêl :
Celles qui vont par les rues,
ce sont celles qui prient Sin et Shamash en disant: « Fais vivre Bêl ! »
Une femme cherche Bêl et supplie qu'on lui dise où il est :
Celle dont les mains sont tendues...
Vers ceux qui le cherchent en disant :
« Où est-il prisonnier ? »
Elle se rend au tombeau :
La porte vers laquelle elle va,
C'est la Porte des Tombeaux;
Elle va, elle le cherche...
Des dieux gardent la tombe :
Les Jumeaux qui sont à la porte de l'Esagil,
ce sont ses gardiens.
Ils sont commis à sa garde.
Quelqu'un va réciter la lamentation funèbre :
Celui (qui récite) la lamentation :
« Après, que les dieux l'ont enfermé,
il a disparu du monde des vivants. »
« Dans la prison où ne pénètre pas le soleil ni la lumière,
ils l'ont fait descendre! »
On procède à la toilette funèbre :
Celui qui est aux pieds,
ceux qui s'approchent et l'habillent.
On lave ses blessures :
Ce sont les blessures dont il est blessé;
Eux, ils sont teints de son sang.
Une déesse est prosternée près de lui :
La déesse qui à côté de lui est prosternée;
pour le sauver elle est descendue.
Ce passage rappelle « la descente d'Ishtar aux Enfers ».
D'autres fragments sont plus obscurs :
l'homme... qui ne veut pas aller avec lui
et qui dit : « Moi ! je ne suis pas coupable ! »
Le commentaire suivant indique qu'un « procès » a eu lieu :
Les hommes... devant « lui » ont ouvert mon procès,
Mon droit, ils l'ont mis en pièces !
Par ailleurs, on décrit ainsi le tumulte de la ville :
C'est après que Bel est allé dans la « montagne »
Il y a des rixes dans la ville à cause de lui.
Enfin, le commentaire suivant devient plus clair et indique que les actes sont accomplis par des Mages remplaçant les héros du drame :
Les Magiciens vont devant lui,
ils récitent une incantation :
ce sont les gens qui vont devant lui en se lamentant.
La scène finale dépeint le chagrin du messager et la douleur de la déesse :
Le Mage qui devant Bêlit de Babylone va :
c'est le héraut qui contre sa poitrine pleure
en disant : « Vers la « montagne » on l'emporte ! »
Elle, elle pousse un cri :
« O mon frère! ô mon frère! »
Quelques-uns de ces fragments ont été recopiés au VIIe siècle à Assour pour la bibliothèque d'Assourbanipal et ces « commentaires » devaient rester secrets, la tablette se termine ainsi :
Quiconque détruira cette tablette
ou la jettera dans l'eau
ou celui qui la montrera à celui qui ne doit pas en avoir connaissance ni l'entendre lire,
que tous les grands dieux du ciel et de la terre le maudissent [d'une malédiction irrémédiable
De ces textes on peut conclure que le « drame sacré » semble bien représenter les différents épisodes de la « passion de Mardouk ».
On retrouve la « mort » du dieu lorsqu'il s'agit de divinités dont la disparition a pour effet d'arrêter la vie sur la terre aussi bien dans la « Descente d'Ishtar aux Enfers » que chez les Hittites avec le mythe de Télipinou ou plus tard avec Adonis en Phénicie. Le mythe de Bêl-Mardouk a aussi des analogies avec celui d'Osiris en Egypte. Dans les scènes que nous avons signalées il semble que Mardouk frappé soit délivré par Nabou. Cet épisode se retrouve aussi en Assyrie dont le dieu national a pris les mêmes caractères en plus d'autres, puisés à une source bien antérieure. Mais à Babylone, Mardouk n'apparaît pas seulement comme un dieu de « fertilité » ; il est bien plus encore : Mardouk est le dieu qui a vaincu le Chaos, le grand maître, le « régulateur » de l'Univers.
Pendant sa disparition et pendant qu'on le cherche, on lance dans la ville un char attelé de quatre coursiers et ce char est sans conducteur ; chacun des chevaux tire de son côté semant la panique. Il semble que le char soit le symbole de la domination de l'Univers, c'est le char de Mardouk qu'il ne dirige plus. C'est l'image du dérèglement général causé par la disparition du dieu conducteur. Un autre symbole de « folie » est fourni par un condamné (sorte de « roi des Fous » ), vêtu d'habits royaux et escorté d'hommes déguisés commettant des actes insensés. Ce « carnaval » met bien en lumière le rôle de Mardouk, maître du chaos et momentanément impuissant.
Dans le temple, nous apprenons que les deux statuettes fabriquées au début des cérémonies ont la tête tranchée et sont jetées au feu.
La Grande Procession du huitième jour
Le huitième jour est le point culminant de la fête. Bien que le texte ne le mentionne pas, c'est le retour (à la vie) de Mardouk qui va « paraître » ou « apparaître » dans la ville. Dès le matin, tous les dieux venus pour honorer Mardouk sortent et se rendent dans la chapelle des Destins où se décré. teront les destins de l'année. Pendant cette cérémonie, les Babyloniens ne devaient pas manquer de formuler des voeux ardents pour que les sorts leur soient propices ! Au cours de ces scènes les statues des dieux se lèvent, s'asseoient et se tournent à droite et à gauche. S'agit-il ici de statues, de poupées articulées ou de figurants ? Les chars du « carnaval » avec leurs « géants » articulés modernes pourraient très bien en présenter le reflet. On a trouvé relativement peu de statues divines. On peut cependant supposer qu'en Babylonie, comme en Egypte, il y aurait eu des statues articulées en bois dont la disparition a été complète. Ces statues pouvaient représenter le dieu et certains rites comme « l'ouverture de la bouche » ou la « purification de la bouche » étaient destinés à les animer. Il arrivait qu'elles devaient donner une réponse par un signe de tête. Dans les fouilles de Mâri, M. A. Parrot a trouvé une statue d'Ishtar qui serre contre sa poitrine un vase creux. Un conduit dans la statue communique avec le fond du vase. Il était donc possible de faire projeter de l'eau hors de ce vase « magique » au moyen d'un mécanisme.
Les statues réunies une première fois dans la chapelle des Destins et que le roi conduira pour leur faire prendre place, vêtues de leurs somptueux costumes, se rangent dans la cour accompagnées de leurs servants portant leurs insignes. De magnifiques chars les attendent. La cérémonie classique de la « prise de main » accomplie par le roi de Babylone donnait le signal du départ. On invoquait alors le dieu Mardouk et sa parèdre Zarpanit :
Sors, ô Seigneur, le roi t'attend!... Il sort, lé Seigneur de Babylone! Elle sort Zarpanit !... Côte à côte, les servantes d'Ishtar de Babylone jouent de la flûte, tout Babylone éclate en cris de joie!
Au cours de toutes ces cérémonies, on observait scrupuleusement tous les détails d'où l'on tirait des pronostics :
Si le roi saisit la main de Bêl et qu'il trébuche, il lui arrivera malheur! Si un cheval du dieu trébuche, le pays perdra la raison! Si quelque chose se rompt dans le bateau du dieu, les dieux bouleverseront le pays!
La Grande Procession partant de la chapelle des Destins par le portail nord de l'Esagil, la Porte Sacrée, arrivait dans la rue Aibourshabou ( « Que l'ennemi ne le foule pas ! » ), qui, entre l'Esagil et la tour à étages, l'Etémenanki, passait d'ouest en est, puis tournait vers le nord, longeait à l'est de l'enceinte le Qasr, débouchait dans la Porte d'Ishtar et sortait dans la Voie Processionnelle jusqu'au confluent du canal Arahtou et de l'Euphrate. On peut aisément réaliser cette fête grandiose passant dans ce décor féérique de briques émaillées ! On transbordait alors les idoles de leurs chars sur leurs barques ; il y avait une chapelle reposoir où l'on chantait des hymnes pendant ce temps :
O Seigneur, pourquoi ne sièges-tu pas à Babylone, ton trône n'est-il pas dressé dans l'Esagil
Après les adieux, les barques voguaient; « scintillantes comme les étoiles » , et à peu de distance les dieux mettaient pied à terre et reprenaient leurs chars vers la « Maison de l'Akitou, la Maison de Prière » , dans la campagne. Mardouk et les dieux demeurent à l'« Akitou » du huitième au onzième jour. Les cérémonies qui se déroulent dans l'Akitou rappellent les actes symboliques de la Création du Monde dont Mardouk est l'auteur. C'était une fête solennelle. Certains assyriologues pensent qu'il y avait encore récitation d'un « drame sacré ».
Le onzième jour Retour â Babylone
Le onzième jour, les dieux reprennent le chemin de Babylone, dans la nuit, à la lumière des torches. On s'imagine aisément ce somptueux cortège aux flambeaux défilant dans les rues et les lueurs se reflétant sur les murs aux décors vernissés dont les animaux fabuleux prenaient des allures fantastiques!
A son entrée dans l'Esagil, Mardouk était salué par cet hymne :
Seigneur, lorsque tu reviens dans ta demeure, ta demeure te dit : « La paix soit avec toi, Seigneur! » a Babylone, la ville de ta Joie ne la laisse plus inhabitée! »
Alors avait lieu une seconde et dernière réunion dans la chapelle des Destins. Le dieu Nabou, le Scribe des dieux, enregistrait les décisions qui prenaient un caractère d'oracle.
Sur un texte on note : « au mois de Nisan... Fêtes de Mardouk et de Zarpanit » ... « Mardouk celui qui sait tout, se rend à ses Noces. » Mardouk était donc conduit à la « Chambre Nuptiale » que nous connaissons sous le nom de « Chambre du Lit » de l'Etémenanki. C'était bien par un « mariage sacré » , une hiérogamie, que la fête de l'Akitou se terminait. Il en avait toujours été ainsi probablement. Par magie sympathique, on admettait que cet acte avait sa répercussion sur la terre en favorisant les naissances et la croissance des êtres vivants et des végétaux. La Fête du Nouvel An était un souvenir de la religion primitive que la religion babylonienne n'a jamais oubliée complètement. Des présents de noces étaient offerts comme dans l'ancienne Mésopotamie. Le dieu donnait des cadeaux somptueux à son épouse. On peut penser que les « strenna » , les étrennes, sont en relations directes avec l'antique coutume babylonienne.
Nous avons remarqué déjà que le mariage symbolique du dieu semblait avoir été décrit par les auteurs grecs comme ayant lieu dans la chambre du sommet de la célèbre tour à étages où se tenait la femme choisie pour y passer la nuit et que nous pensons pouvoir identifier avec la « prêtresse » remplaçant la déesse Zarpanit.
Le douzième jour
Au matin du douzième jour, le dieu Nabou regagne Borsippa et les autres dieux retournent dans leurs sanctuaires respectifs. Les fêtes sont terminées. Le destin de Babylone va s'accomplir !
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